Lettre sur les émeutes et le doute

au passage : j’ai écrit ça quelques jours avant que tout n’explose. à suivre…

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Qu’importe, j’ai complètement changé de méthode. Ça fait un moment que j’ai commencé à m’interroger sur la possibilité d’une poésie que seul l’ennemi pourrait comprendre. Nous savons toi et moi ce que ça signifie. Mais à ce moment-là, c’était peut-être quand je faisais le tour de Piccadilly en observant les incendies, cette nuit de mars, mon point de vue sur la question a changé. Les gémissements poétiques de ce siècle n’ont été, pour la majeure partie, qu’une banale patine de snobisme, de vanité et de sophisme : il nous faut une prosodie nouvelle et si je suis à peu près certain qu’une simple émeute ne fait pas l’affaire, ton refus de quitter la salle de séminaire n’est certainement pas approprié non plus. Mais, une fois encore, tu as raison de t’inquiéter que je fasse de la forme-émeute un fétiche. Tu dis : « La non-violence est un élément clé de ma vision des choses. » Tu dis : « Je suis fier de n’avoir jamais mis au point d’armes létales. » Mais que dis-tu de cette nuit où nous avons électrocuté un certain nombre de chiens. Tu t’en souviens ? Avec du courant direct et alternatif ? Pour établir que le second était plus sûr ? On avait gobé un paquet de MDMA cette nuit-là, et pour une fois on pouvait admettre qu’on n’était ni calmes, ni miséricordieux, ni aimants. Mais je m’égare. Le principal problème avec une émeute, c’est qu’elle bascule trop facilement dans une sorte d’intensité négative, que par l’acte même d’évasion de notre forme-marchandise nous nous y retrouvons plus profondément congelés. Extérieurement au moins nous devenons le prix du verre, ou les heures supplémentaires d’un flic. Mais une fois encore je ne dis ça que parce qu’il n’y a eu aucune foutue émeute. Sérieusement, si on crame pas des bagnoles on est nulle part. Penses-y. La ville s’échauffe et s’approfondit quand la pression monte. Les électrons sont expulsés des atomes pour produire une substance encore jamais vue sur Terre. Sous des conditions aussi extrêmes, l’hydrogène se comporte comme du métal liquide, conduisant aussi bien l’électricité que la chaleur. Si rien de tout ça n’a lieu, c’est une perte de temps. Peut-être que tu penses que ça ne s’applique pas à toi. De quelles réserves inépuisables de noirceur, d’ignorance et de sauvagerie nous disposons. Cent millions de personnes utilisent l’électricité et persistent à croire à la puissance magique des signes et des exorcismes, au cauchemar de leurs vies en tant qu’esclaves des riches. Ne fais pas comme si tu étais au-dessus de ça. Souviens-toi, une poésie que seul l’ennemi peut comprendre. Cela suppose toujours que nous, comme on dit, comprenons bien. Pourrait-on réellement parvenir à une connaissance de la poésie par l’étude de la salive des chiens ? La mer d’hydrogène métallique a des dizaines de milliers de kilomètres de profondeur.

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notez l’usage de citations d’Engels, Trotsky, Lautréamont, et du Guardian daté d’aujourd’hui

5 août 2011.

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