Héros

1. Mustapha Khayati, j’ai une question. Pendant que tu rédigeais ton dictionnaire, est-ce que tu t’es demandé quels mots pouvaient être des mouchards et quels autres des jaunes. Tant que la Tour Eiffel continue de signifier ce qu’elle signifie, à transmettre des signaux que personne ne pourra jamais traduire, ces questions continuent de compter. Mustapha Khayati, dis quelque chose. Le fascisme n’a pas besoin de langage pour faire ce qu’il fait.

2. Jean Genet, s’il était vivant aujourd’hui, serait quelque part au fond de l’océan, enlacé à tous les autres ossements humains. Personne ne dirait son nom. Ses empreintes digitales seraient répertoriées dans une obscure mine de données. Mais sa haine pour votre monde serait la même. Son poing, son poignard, son négligé. Alors que les derniers océans se seraient évaporés, ses os se mettraient en mouvement. La bonté dans ses yeux longtemps révolue.

3. S’il se trouve que la cosmologie de Dante a toujours été vraie, alors j’aimerais qu’Artaud soit le guide aux Enfers. Il saurait gérer les touristes. Il ne dirait pas un mot, ne croiserait pas ton regard, et les hurlements dans tes oreilles seraient les tiens. Avec de la chance, il te saisirait par les poignets. Quelque part, loin de là où nous nous trouvions, la dernière horloge de la terre exploserait. Fleurs de base.

4. Si toutes les lettres de tous les alphabets du monde étaient prononcées en même temps, elles n’épelleraient pas le nom Arthur Rimbaud. Ce nom a été mis hors service il y a quelque temps. Mais essaye-le quand même à l’envers, pendant l’heure qui précède l’aube. Observe les statues érigées en son honneur alors qu’elles n’implosent pas. Écoute sa poésie, alors qu’elle erre dans les villes ruinées, invisible à notre œil.

5. Baudelaire tu l’as toujours su. Ton squelette astreint sans discuter à gratter la terre pour toujours, à repousser l’amer besoin qui sur lui s’abat comme une horloge vivante. La came rend la mort éternelle, tu le sais bien. Comme son jumeau respectable, le travail salarié.

Lettre sur les émeutes et le doute

au passage : j’ai écrit ça quelques jours avant que tout n’explose. à suivre…

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Qu’importe, j’ai complètement changé de méthode. Ça fait un moment que j’ai commencé à m’interroger sur la possibilité d’une poésie que seul l’ennemi pourrait comprendre. Nous savons toi et moi ce que ça signifie. Mais à ce moment-là, c’était peut-être quand je faisais le tour de Piccadilly en observant les incendies, cette nuit de mars, mon point de vue sur la question a changé. Les gémissements poétiques de ce siècle n’ont été, pour la majeure partie, qu’une banale patine de snobisme, de vanité et de sophisme : il nous faut une prosodie nouvelle et si je suis à peu près certain qu’une simple émeute ne fait pas l’affaire, ton refus de quitter la salle de séminaire n’est certainement pas approprié non plus. Mais, une fois encore, tu as raison de t’inquiéter que je fasse de la forme-émeute un fétiche. Tu dis : « La non-violence est un élément clé de ma vision des choses. » Tu dis : « Je suis fier de n’avoir jamais mis au point d’armes létales. » Mais que dis-tu de cette nuit où nous avons électrocuté un certain nombre de chiens. Tu t’en souviens ? Avec du courant direct et alternatif ? Pour établir que le second était plus sûr ? On avait gobé un paquet de MDMA cette nuit-là, et pour une fois on pouvait admettre qu’on n’était ni calmes, ni miséricordieux, ni aimants. Mais je m’égare. Le principal problème avec une émeute, c’est qu’elle bascule trop facilement dans une sorte d’intensité négative, que par l’acte même d’évasion de notre forme-marchandise nous nous y retrouvons plus profondément congelés. Extérieurement au moins nous devenons le prix du verre, ou les heures supplémentaires d’un flic. Mais une fois encore je ne dis ça que parce qu’il n’y a eu aucune foutue émeute. Sérieusement, si on crame pas des bagnoles on est nulle part. Penses-y. La ville s’échauffe et s’approfondit quand la pression monte. Les électrons sont expulsés des atomes pour produire une substance encore jamais vue sur Terre. Sous des conditions aussi extrêmes, l’hydrogène se comporte comme du métal liquide, conduisant aussi bien l’électricité que la chaleur. Si rien de tout ça n’a lieu, c’est une perte de temps. Peut-être que tu penses que ça ne s’applique pas à toi. De quelles réserves inépuisables de noirceur, d’ignorance et de sauvagerie nous disposons. Cent millions de personnes utilisent l’électricité et persistent à croire à la puissance magique des signes et des exorcismes, au cauchemar de leurs vies en tant qu’esclaves des riches. Ne fais pas comme si tu étais au-dessus de ça. Souviens-toi, une poésie que seul l’ennemi peut comprendre. Cela suppose toujours que nous, comme on dit, comprenons bien. Pourrait-on réellement parvenir à une connaissance de la poésie par l’étude de la salive des chiens ? La mer d’hydrogène métallique a des dizaines de milliers de kilomètres de profondeur.

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notez l’usage de citations d’Engels, Trotsky, Lautréamont, et du Guardian daté d’aujourd’hui

5 août 2011.

doléance

Aujourd’hui on a annulé les oiseaux charognards
et nous sommes amoureux et nous dormons en paix.
Il y a des flics dans nos oreillers.
Essaye de dire que leurs assassins bossent pour nous.

*

Nos maisons sont bondées si étroitement
Qu’elles ne sont plus des maisons. Va comprendre.
Ça nos lits ça nos restes de bouffe
Nous mangeons de la même bouche. Nous n’avons plus
L’usage de nos os. Nous sommes désespérés nous sommes fabuleux
nous sommes Possiblement morts.
                                               4 heures du mat. Dors baise défonce-toi
et ce monstre dans le ciel qui relève nos coordonnées. 

Des fantômes marchent à midi. Tout un chacun une arme.