Lamentation

Nos maladies sont pour la plupart des maladies politiques – Peter Weiss

On salue l’obscur – Diane di Prima

Aux jours de notre colère la plus féroce

la précision de la beauté
Du monde entier         la joie

pain trempé     dans leur obscurité
des ennemis la bouche plaquée sur nous

un piège nous est venu
nul qui nous réconforte

De la musique enfermée, des insultés et des vraiment damnés.
Des noms des responsables des massacres récents.

Sur la numérologie du chant d’oiseau
Sur l’émeute remplacée par le chant d’oiseau
Nos persécuteurs plus rapides que des aigles

Ils nous ont poursuivis dans les montagnes. Nous ont tendu une embuscade dans la plaine.

                        Et nos voyelles collectives fredonnent comme des drones.
                        L’invisible, quoi que ce soit.
                        Comme s’il ne planait pas au-dessus de nous.
                        S’annonçait par le feu bleu.

                        *

                        La loi est une bouche.
                        Glossolalie.

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ces tours et ces villes
ces plaines désertiques
la saveur brûlante de ces
cieux, que sont-ils
qu’a-t-on oublié
dans ces bidonvilles
ces parcs et ces légendes
solides, brillants, cachés
étranges et distants
fantômes, nos austères fantômes

passe l’âme de ton corps comme de l’eau
eau bouillante qui brûle sans fin

*

Elle respire, la loi, et elle chante à l’intérieur de ceux qu’elle protège, et ils sont comme des fleurs, aussi chastes et paisibles que du verre.

Elle nous fixe du regard, la musique de la loi, et ses doigts, ils nous pincent, comme si nous étions des cordes, dorées, et nous sommes leurs chansons, les habitants de la loi.

Et nous n’avons pas prise, et nous trébuchons, en arrière en arrière, heure par heure, tels des étoiles ou des immeubles s’effondrant, dans l’abîme, de leurs cœurs, les héritiers de la loi, et là nous chantons, inimaginés, dans la glace de notre silence, tombant.

Et leurs âmes s’écouleront comme pisse dans les rues de la grande ville.

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Dis qu’ils nous ont enfermés dans la pierre nue. Tu te réveilles, tu ouvres les yeux, est simple : nous avons été consommés comme le sang et l’eau, et notre langage – tu te réveilles, sifflantes et syntaxe un jet de javel et de concepts. Échafaude : l’ennemi est non-matériel, pas nous.

Dis qu’ils nous ont étouffés avec du sucre noir. Demande qui sont ces gardiens des rébellions de jadis – insiste, c’est vraiment arrivé, nous sommes tout sauf imaginaires. Tu te réveilles, tu ouvres les yeux – il y a une frontière nous sépare, les morts méritants, non-méritants. Défense d’afficher des miracles.

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C’est la sotte habitude de notre temps de se lamenter au lieu de réagir. La mode est aux jérémiades. Jérémie pose dans toutes les attitudes, il pleure, flagelle, il dogmatise, il régente, il tonne, fléau lui-même entre tous les fléaux. Laissons ces bobèches de l’élégie, fossoyeurs de la liberté ! Le devoir d’un révolutionnaire, c’est la lutte toujours, la lutte quand même, la lutte jusqu’à extinction – Louis-Auguste Blanqui

Souviens-toi. On t’a donné des lois
pour gratter ton enfance, étaient des airs
tu le savais, chantant pendant des siècles
                                                dans une cellule et des dieux
planqués sous ton lit, contes de fées
leur amour bleu, depuis le fond de l’océan
cet inconnu, chaque nuit, dans ton lit
enlève sa peau brûlante, l’accroche
dans sa cellule, ses esclaves égyptiens
ses cartes brisées – 
                                   souviens-toi
de prendre ces contes comme un conseil
un vortex qui organise ;
                                   chaque phrase volée
chaque mot une double serre. Agis maintenant.

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Bon bref, des insomniaques ou les morts errants dorment en marchant à travers le ministère, ouais, à travers la ville dorée. Bah qu’ils aillent se faire foutre. La chorale, si elle existe, est un troupeau de fantômes. Le chœur, une foule désenchantée de professionnels du mot d’ordre. Laisse tomber. Prends du sulfate, de l’hydrogène, n’importe quoi, éléments, élémentaux, broie le tout et bous l’invisible

                                   l’extase des molécules d’oxygène
                                   les moines fous de Westminster

                                   L’un fut auguré avec des hirondelles.
                                   L’un fut scindé avec des ciseaux.

                                   Certains germent dans la poussière
                                   à ne pas cueillir
                                   adversaires du jour
                                   et contre-lumière
                                   de la nuit

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chaque porte n’est pas verrouillée – Ericka Huggins

dans le maire de Londres
ses râles de neige brûlante
dans son mot pour monnaie
un million de portes closes
de viande et d’étoiles qui flambent
sa livide sentence crevée
sa griffure sidérée de détenus
ses corpuscules et son rire
dans son mot pour Londres
dans notre disque de salaires
une alouette empoisonnée hurle
sa voix dorée s’écoule

Parce que nous n’existons pas les années de notre naissance s’empilent dans l’ombre de nos bouches comme des villes imaginaires ou les fosses du Ciel et autres banalités de base.

                                                                                                                      Dis ces rats. Dis ces rats ont des noms dis tu connais ces noms. Tu ne connais pas ces noms. Dis poudre noire dis plein de choses. Et puis, une victoire fasciste, dis ça. Et puis. Dis il semblait qu’une porte a été ouverte genre juste une seconde et on s’est rués à travers cette porte ou bien les choses se ruaient-elles sur nous je ne sais pas et. Dis c’était juste un nuage de sang en poudre. Dis tu connais leurs noms et puis souffre de dessous ces noms et vis et creuse dans ces noms et. Demande ce que deviennent ces putain de cœurs brisés

*

Évite la mélancolie.
Raconte quelques blagues.
Dynamite Stonehenge.

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               applique de la gravité sur ton corps
               de l’eau crue comme du beurre en fait
               fait de ton corps, oui, c’est-à-dire
               toi, nous, « une force du passé »
               et à propos des fleurs :

Qui sont ces juges, qui en a fait des gardiens ? Et de quoi ? Quelles sont ces choses au centre de leur bouche, ce silence cerclé, cette horloge écrasée, cris de choses volantes et mortes. La forme humaine, elle m’effraie, ses aspects éraflés et monstrueux ; peste agrippée à, comme l’esprit d’amour, et des spectres hurlent comme des étourneaux dans les rues de nos villes dévastées.

C’est un orage de monstrueux tambours.

la guerre n’a pas été déclarée
               elle hurle seulement
comme hurlent les fantômes et
            les cendres sont les hurlements
                        des fantômes sont
de l’eau brûlée       sont les bardes
des pièces et du sommeil licite

et des étoiles écarlates d’argent pourri

*

Je veux n’oublier jamais que l’on m’a contraint à devenir […] un monstre de justice et d’intolérance, un simplificateur claquemuré, un personnage arctique qui se désintéresse du sort de quiconque ne se ligue pas avec lui pour abattre les chiens de l’enfer.
René Char

et cette sentence
             non-prononcée
ne doit pas te rendre amer
        elle t’a rendu amer

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il y a une loi elle
patrouille l’invisible
est sombre dehors

il y a des comètes comme
nous les déchiffrons
comme la loi ou la radio

comme ensuite les villes brûlent
comme cendre comme formes simples
comme le ciel est une insulte

                                   nomme cette ville

                                   c’est un os c’est
                                   nos os craquent
                                   comme feu perle va

                                   scinder les filets de rues
                                   ou d’os c’est
                                   pas une urgence

                                   la richesse des morts
                                   leurs amis morts.

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Qui regardaient le soleil dans les yeux et n’étaient pas aveuglés – Lola Ridge

cinq jours sans dormir
la loi est fixée et brûle
nous qui sommes ici captifs
chaque nuit la même silhouette
sur la même route, cesse
de rugir, comme un cerveau
qui rugit tous nos fantômes
jacinthe et gueule-de-loup
mes fantômes, un fleuve d’os
mes fantômes, narcisses ma
rotation, mes lois, restez là
« les forfaits s’abattent comme la pluie »

*

et quand ils disent « nous », ils ne cherchent qu’à baratiner, pour que les gens croient y retrouver, en mieux formulé, ce qu’ils pensent et leur façon de penser. Ulrike Meinhoff

« Nous » les menteurs. « Nous » les obéissants, « nous » les dents impériales.
Pas d’oiseaux, pas de costumes, pas d’araignées sacrificielles.
Cette histoire passe à travers nous comme des fantômes.
Divers acronymes. Nostalgie de la couleur électrique.
Rose meurtre et noir.

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le fantôme de ton père
a donné des mots à l’orage
piégé la pluie dans ses chansons
ont déchiré sa bouche en morceaux

la pluie ne parlera pas de ça
– c’est ta beauté, apocalyptica –

Mais pour toi ce serait peut-être un devoir, car tu pourrais t’employer à réveiller les morts de Tübingen. Certes, les croque-morts chercheraient à te faire le plus de mal possible. – Hölderlin à Hegel, 25 novembre 1795.

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