Désolé de ne pas avoir écrit depuis si longtemps. J’ai été pas mal occupé et en plus les choses ont commencé à être difficiles, à nouveau. Je vais devoir m’inscrire au chômage dans pas longtemps et je suis tout sauf impatient de le faire. Ne va pas te faire des idées, ce n’est pas que je me sente coupable, pas du tout. Les clopinettes qu’on nous accorde sont de toute façon une insulte. Ce n’est même pas le dispositif d’aide sociale, c’est juste que le Job Centre, tout le processus, c’est un cauchemar. Il y a des années de ça, ils passaient de la musique dans ces bureaux, je ne pense pas qu’ils le fassent encore. C’était toujours la même vieille merde prévisible, mais diffusée juste en-deçà du spectre standard de l’audible. Ouais, j’imagine que c’est une façon d’envisager la condition de porosité harmonique commune à tous ceux qui ont moins de cinq balles en poche. L’étrange gnosticisme dans lequel on vit ces temps-ci. Les vérités sociales auxquelles n’ont accès que ceux qui vivent bien en dessous du seuil de la faim. Eux, et bien entendu les très riches. Comme si les riches étaient une sorte de couteau ébréché, aux confins du périmètre social, et que nous, les très pauvres, nous étions raclés contre ce couteau, encore et encore. Vous autres, tous, dans l’entre-deux — peu importe à quel point vous vous sentez concernés — vous êtes en état de somnambulisme. C’est pour ça que je me suis enflammé quand tu m’as reproché la violence de mon travail. Je veux dire, de quoi tu rêves ? Mes rêves sont identiques à ceux de plusieurs députés conservateurs. Sauf que, bien sûr, je fais ces rêves quand je suis éveillé. Mais bon, laisse tomber, je n’ai pas l’intention de m’étendre sur mes problèmes : je suis censé t’écrire à propos de musique, donc réfléchissons à ces morceaux qu’ils passaient dans le Job Centre. Tous les derniers tubes, convertis en un gémissement aigu et circulaire, et au centre de ce gémissement un lexique bien trop audible. Argent. Sanctions. Etc. Ce gémissement, cette désaudibilité, est fascinant. C’est fait pour ça. Pour être honnête, je suis surpris que ça n’ait pas été repris dans The Wire. Je suis surpris qu’il n’y ait pas de CD, de concerts au café Oto. Je veux dire, c’est une expérience d’écoute des plus intéressantes. On bouge au ralenti. On a l’impression d’avoir reçu une injection de 300mg de chien brûlant. Il n’est plus possible de contrôler la grammaire et la syntaxe. La parole, qui serait normalement le moyen d’entrer dans le temps effectivement vécu, se comprime et s’étire en un réseau de cercles et de spires, à son périmètre un système de musique raclée, négative, et en son centre un mur. Et puis tu te réveilles après une nuit de rêves affreux pour découvrir que tu es ce mur. À bientôt, j’espère. Il est peut-être temps de m’inviter à dîner chez toi ?
5 avril 2012